Capo Carbonara : un trésor bleu entre protection marine et science vivante
Située à l’extrémité sud-est de la Sardaigne, l’Aire Marine Protégée (AMP) de Capo Carbonara est l’une des zones de conservation les plus emblématiques de Méditerranée occidentale. Instituée par décret ministériel le 15 septembre 1998, cette aire marine est gérée par la commune de Villasimius, en collaboration avec des institutions scientifiques, des ONG et des acteurs du territoire.
Elle représente un modèle d’écogestion, conciliant préservation des habitats marins, recherche scientifique, éducation environnementale et développement socio-économique durable.
Une mosaïque d’habitats et une biodiversité exceptionnelle
Les eaux limpides de l’AMP cachent une biodiversité remarquable, conséquence directe de l’hétérogénéité de ses habitats benthiques : récifs granitiques, herbiers de Posidonia oceanica, fonds coralligènes, plages sableuses, lagunes côtières et structures rocheuses infralittorales.
Espèces et habitats
- Faune benthique : gorgones (Paramuricea clavata), marguerites de mer (Parazoanthus axinellae), murènes (Muraena helena), mérous bruns (Epinephelus marginatus)
- Poissons pélagiques : barracudas méditerranéens (Sphyraena viridensis), sérioles (Seriola dumerili), thons rouges (Thunnus thynnus)
- Mollusques : La grande nacre, Pinna nobilis, est une espèce endémique menacée, en cours de recolonisation grâce aux actions de protection
- Tortues marines : Caretta caretta, qui utilise les plages de l’AMP comme site de ponte
- Cétacés : dauphins (Tursiops truncatus) fréquemment observés, parfois même des baleines à fanons en migration
La géomorphologie sous-marine comme moteur écologique
Les formations géologiques telles que les pinacles rocheux, les éboulis granitiques de Cala Caterina et les falaises sous-marines près de l’Isola dei Cavoli créent des zones d’ombre et de courant propices à l’établissement d’écosystèmes complexes.
Cette topographie sous-marine favorise la stratification thermique, qui vient maintenir les communautés coralligènes, particulièrement sensibles aux changements climatiques.
Une AMP à la croisée de la science et de la gestion
L’AMP Capo Carbonara est un site de référence pour la recherche scientifique appliquée, notamment en matière de :
- Suivi écologique à long terme des herbiers de Posidonia oceanica, bioindicateurs de la qualité de l’eau (cf. Pergent et al., 2020)
- Études de résilience face aux espèces invasives (ex : balistes exotiques venus de la mer Rouge via le canal de Suez – phénomène dit de lessepsian migration)
- Analyse de la connectivité génétique entre populations marines grâce à la télédétection et aux marqueurs moléculaires (Fraschetti et al., 2018)
Des programmes tels que MEDSEALITTER permettent également une surveillance de la pollution plastique et de son impact sur la chaîne trophique marine.
Politiques de zonation et réglementation adaptative
L’AMP est divisée en plusieurs zones à protection graduée :
- Zone A : protection intégrale – interdite à toute activité extractive
- Zone B : accès réglementé, autorisation limitée pour la plongée, pêche artisanale et mouillage
- Zone C : protection partielle, autorisation sous conditions
- Zone D : zone expérimentale pour projets pilotes (ex : récifs artificiels, évaluation de l’impact du tourisme)
Cette zonation dynamique permet d’ajuster les politiques de gestion selon les résultats scientifiques, un exemple de gestion adaptative recommandée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, 2012).
Développement durable et implication locale
L’AMP joue également un rôle socio-économique de premier plan :
- Projet STRATUS : stratégies intégrées pour un tourisme durable, en collaboration avec les établissements touristiques
- Programme EAU NOTRE : promotion de l’usage de l’eau publique, réduction des plastiques à usage unique
Soutien à la pêche artisanale durable, avec des réglementations claires et des aides à la reconversion
Ces initiatives permettent une coexistence équilibrée entre activités humaines et conservation écologique.
Éducation, sensibilisation et participation citoyenne
Les activités éducatives et de sensibilisation incluent :
- Visites guidées sous-marines pour les scolaires et les touristes
- Ateliers participatifs sur la biodiversité marine
- Projets de science citoyenne (ex : suivi des populations de Pinna nobilis ou de Caretta caretta)
Ces actions renforcent l’appropriation collective de la mission écologique de l’AMP et stimulent la résilience sociale du territoire.
L’Aire Marine Protégée de Capo Carbonara est un exemple de gestion complexe d’écologie, gestion territoriale et dynamiques humaines. Grâce à une approche multidisciplinaire et intégrée, cette zone constitue un modèle scientifique et opérationnel pour d’autres régions méditerranéennes confrontées aux défis du changement global.
Une mission partagée en Méditerranée
Dans le cadre de l’expédition du Seaquarium Institut Marin, nos équipages sont partis à la rencontre des Aires Marines Protégées de Méditerranée. Leur mission : observer la biodiversité marine, rencontrer les acteurs locaux des AMP, et faire entendre la voix des scientifiques, associations, gestionnaires et citoyens qui œuvrent chaque jour à préserver la Méditerranée— à l’image de l’AMP de Capo Carbonara, identifiée comme un modèle d’engagement et de résilience environnementale.
Sources :
Pergent, G. et al. (2020). “Posidonia oceanica: an ecosystem engineer in Mediterranean coastal waters”. Progress in Oceanography, 186, 102395.
Fraschetti, S. et al. (2018). « Connectivity and resilience of marine protected areas in the Mediterranean Sea ». Marine Environmental Research, 139, 1–9.
Convention de Barcelone – https://www.unep.org/unepmap
MEDSEALITTER project – https://medsealitter.eu/
Directive Habitats 92/43/CEE, Directive Oiseaux 79/409/CEE
UICN (2012). Guidelines for applying the IUCN protected area management categories to marine protected areas.
Pour en savoir plus :
